80 ans de "Nice-Matin" : Jean-Marc Raffaelli, couteau suisse insulaire
La mémoire de Jean-Marc Raffaelli cabote à mi-chemin entre l’île aux trésors et la caverne d’Ali Baba. On y croise cinq présidents de la République, plusieurs écrivains, des chanteurs poètes et des grappes d’artistes légendaires. "J’ai une bonne étoile", plaisante le journaliste bastiais. Pas anodin dans un métier où le manque de chance est assimilé à une faute professionnelle.
Son premier "coup de pot", en 1980, a été d’être… remercié par Le Provençal qui l’employait comme pigiste. "Corse-Matin m’a immédiatement sollicité, sourit-il. Pendant un an, j’ai travaillé sous un pseudonyme – Jean Paoli –, car les deux journaux avaient signé un accord de non-débauchage. J’ai été professionnalisé en octobre 1982 après un stage à Nice. Pressenti pour Grasse, j’ai finalement été muté à Bastia ! Ouf…"
Rapidement, une évidence s’impose : le rédacteur est une "plume". Une qualité que l’intéressé relativise : "Écrire, c’est la seule chose que je sache faire ! Dans la vraie vie, je ne suis pas capable de changer une ampoule."
Le jeune homme se forme au hasard de ses rencontres. En 1981, il couvre la réouverture de l’opéra de Bastia. "J’ai assisté aux répétitions de La Traviata de Verdi. Je n’y connaissais rien, mais j’ai adoré ça ! Je suis devenu un véritable amateur d’art lyrique." Au point de caler ses congés en fonction de la programmation de la Scala et de l’Opéra Garnier.
"Un petit territoire qui a toujours attiré les grands talents"Éclectique, Jean-Marc Raffaelli se passionne aussi pour le foot et la politique. "En 1977, lorsque François ‘‘Fanfan’’ Félix a marqué le but qui a qualifié Bastia pour les 16e de finale de la Coupe d’Europe, j’ai fait un malaise, confesse-t-il. J’ai vécu des émotions inoubliables dans les stades, mais aussi des drames comme l’effondrement de la tribune à Furiani. »
Les souvenirs se bousculent. Il enchaîne : "La politique, c’est venu progressivement. J’ai eu le privilège d’interviewer nos cinq derniers chefs d’État. Le premier, François Mitterrand, c’était en 1983 ; j’avais 25 ans ! Avec Nicolas Sarkozy, une relation particulière s’était nouée. Il avait accepté de me recevoir le 7 juillet 2003, au lendemain du référendum perdu sur le nouveau statut de l’île."
Sur son visage poupin, le sourire s’élargit. Des stars ? Le reporter insulaire en a croisé des centaines. "La Corse est un tout petit territoire qui a toujours attiré les grands talents, résume-t-il. Ma chance, c’est qu’ici, ils sont souvent plus disponibles qu’ailleurs."
Et il raconte… Jacques Dutronc, "qui ne t’autorisait pas à poser la moindre question tant que tu n’avais pas descendu une bouteille de champagne". Guillaume Depardieu, "rencontré un an avant sa mort. Sa copine venait de le quitter ; il était en pleine dépression. Je n’ai pas pu repartir avant l’arrivée de sa sœur Julie." Claude Berri, "qui n’arrêtait pas de se plaindre du réalisateur de La Reine Margot incapable de tenir son budget. Il disait : ‘‘Chéreau, il porte vraiment bien son nom !’’"
"1 500 casse-couilles à gérer"Il évoque également Jean d’Ormesson ("Il disait que j’étais son intervieweur préféré"), Georges Moustaki ("On a discuté à Erbalunga de 23 heures à 5 heures du matin"), Claude Nougaro ("Intarissable sur le vieux-port de Bastia"), Léo Ferré ("Un seigneur en Toscane"). Et puis, tant d’autres reportages, sans nom qui claque sur l’affiche, mais avec des "castings incroyables". Il hoche la tête : "Les élections municipales étaient des périodes hallucinantes. On suivait la campagne dans nos 360 communes, ce qui faisait 1 500 casse-couilles à gérer. On était accablés de coups de fil, on croulait sous les demandes ! Un élu de village m’a envoyé lui-même son interview entièrement rédigée. La première question qu’il se posait, c’était : ‘‘Comment expliquez-vous que votre bilan soit aussi bon ?’’ Il a fallu lui expliquer…"
Raffaelli n’élude pas les tensions liées au "contexte particulier" de l’île. "Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, on assistait le soir à une conférence clandestine et, le lendemain, on était placés en garde-à-vue ! Plusieurs agences ont été plastiquées. Parfois, il fallait louvoyer…"
Comme dans la BD de Pétillon, L’Enquête corse : savoir à qui poser les questions, mais surtout à qui ne pas les poser.
D’une carrière qui l’a conduit jusqu’à la rédaction en chef adjointe, dans les années 2010, le journaliste conserve des brassées d’échanges privilégiés. "Pour faire ce métier, il faut aimer les gens", glisse-t-il comme une évidence. Et savoir se laisser guider par sa bonne étoile…
Le 5 mai 1992, Jean-Marc Raffaelli se trouve dans la tribune de presse du stade de Furiani. "Nous étions tout en haut, précise-t-il. Comme il commençait à pleuvoir, on nous avait mis des parasols pour protéger nos ordinateurs."
Il se souvient de tout. De la structure qui bascule. Du fracas. Des cris. Des sirènes. Des brancards. Du malheur qui se répand dans la nuit.
"J’étais pris au piège, raconte le reporter. Les gens qui fuyaient me marchaient dessus. Un médecin m’a piqué le pied pour savoir si j’étais paralysé. Finalement, on m’a évacué sur un panneau publicitaire de la distillerie L.N. Mattéi, avant de me transporter à l’hôpital dans un camion à pizza réquisitionné. Mais je n’allais pas me plaindre ; juste à côté de moi, il y avait deux morts."
Soigné sur le continent – à Vallauris, Mougins et Hyères –, le journaliste passe douze mois en rééducation. "Tous les jours, le patron du journal téléphonait pour prendre de mes nouvelles. Au centre héliomarin, j’ai vu passer Charles Aznavour qui visitait les lieux pour son beau-frère, le compositeur Georges Garvarentz. Il s’en est souvenu lorsque je l’ai revu à Paris, douze ans plus tard."
Ce drame ne l’a "pas vacciné" du foot : "Je suis revenu au stade avec des béquilles."
Tout comme Charles Monti, alors responsable des pages Sports : "La veille, le 4 mai, j’avais reçu ma mutation à Nice, effective à compter du 1er juin. J’ai été arrêté pendant seize mois. À mon retour, il n’était plus question de quitter l’île. Ça a été le seul point positif de cette sombre affaire."
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